• Charivari, de Nancy Mitford

    “Plongez sans aprioris dans cet extravagant charivari !”

    261 pages

    Nancy Mitford

    Editions 10/18

    Remuante héritière de la plus grosse fortune d'Angleterre, Eugenia milite ardemment pour le parti fasciste de l'Union Jackshirts. Dans son sillage : deux dandys courant la dot, une duchesse en fuite, une lady cocue et une bourgeoise fantasque. Entre harangues politiques et garden-parties, grand amour ou mariage d'intérêt, chacun devra tirer son épingle de cet effarant jeu de dupes ...

    Paru en 1935, ce roman n'a pas été réimprimé pendant près de 70 ans. Ceci à la demande de Nancy Mitford elle-même, qui souhaitait mettre un terme à la brouille que sa publication avait provoquée avec ses sœurs. Unity et Diana lui reprochaient en effet la caricature à peine masquée qu'elle faisait du mari de Diana sous les traits du charismatique et très nationaliste Captain Jack. Car derrière ce qui est en au premier abord une comédie enlevée, portée par le meilleur de l'humour anglais, transparait une critique mordante des mœurs de la bonne société britannique, sur fond d'avènement du fascisme.

    Ma chronique

    Charivari. Ce titre est ici teinté de ridicule par l'ironie acide d'une plume caustique douée mais dénuée de pitié. Les pages défilent et je me suis rapidement trouvée emportée par l'extravagance, étant toutefois tenue dans un retrait moqueur grâce au témoin qu'est l'esprit acerbe, certainement sympathique, de Nancy Mitford. Sachez que je suis toujours passionnée par les romans de l'entre-deux-guerres, notamment les destins romanesques et les grandes familles impossibles. Les soeurs Mitford avait ainsi attirée mon attention. Je ne suis pas déçue. 

    L'humour fait la force, pourrait-on dire dans le cas de cet écrivain. Sa plume fluide est constamment teintée d'ironie réaliste pour notre plus grand plaisir. Certes le roman parle du fascisme anglais, non, il s'en moque largement plutôt, en plaçant à sa tête des personnages écervelés dont l'une, Eugénia, a plutôt l'air de faire une simple crise de rébellion adolescente. N'oublions pas également que l'auteur ne désirait plus rééditer son livre après avoir été témoin des résultantes dramatiques du fascisme. A notre époque, cela tient lieu de témoignage pour ainsi mieux comprendre. J'ai été frappée par une phrase significative au sujet d'Eugénia : “C'est une chouette fille, dit Jasper. Si elle était née vingt ans plus tôt, elle aurait fait une parfaite suffragette.” Comme semble vouloir le glisser ici l'auteur, Eugénia se révolte pour se révolter, sans véritables opinions... A quoi bon rime ainsi la politique ? 

    L'aventure de nos originaux personnages est parfaitement rythmée ; elle commence au début, se termine à la fin. La première phrase - qui tient lieu de dernière - annonce une espèce de course à l'héritière, pourtant bien vite abandonnée tant Jasper et Noël me paraissent inconstants. La boucle est bouclée ; cela donne une belle forme complète à l'intrigue. Malgré leur multiples défauts, on s'attache à tout ces protagonistes gentiment névrosés. Alors n'hésitez pas ; plongez sans aprioris dans cet extravagant charivari ! 

     yes 4 étoiles yes

    Extraits :

    “Je me suis enfuie pour trouver l'amour, continua-t-elle avec colère, et je n'ai trouvé que cette baignoire dégoûtante.”

    “Au début de la nouvelle saison, dirai-je, il va s'amouracher d'une affreuse petite débutante, et elle sera fourrée à la maison matin, midi et soir, avec moi dans les parages, servant de respectable chaperon. La fille me détestera, parce que la pauvre dinde croira que je suis le seul obstacle à son bonheur éternel, et son bavardage stupide me plongera dans des abîmes d'ennui. Si seulement il les choisissait d'un commerce plus agréable, peut-être pourrais-je le supporter, ou s'il avait une liaison normale avec une femme mariée, chez elle -ces petites aventures sentimentales avec des gamines dans ma propre maison sont trop humiliantes. Vraiment, à la réflexion, j'en ai par-dessus la tête d'Anthony St Julien.”

    “-Je dois dire qu'elle a les opinions les plus tordues concernant les relations sociales. Elle ostracise tous les malheureux qui n'ont pas eu de chance, ceux qui ont été pris en train de tricher au billard, celles qui ont eu un mari épouvantable, alors qu'elle se soucierait comme d'une guigne de les voir agir de manière vraiment malfaisante comme opprimer les pauvres. je crois que notre génération a des valeurs éthiques bien supérieures à celles de sa génération ; nous voyons les gens que nous aimons, même s'ils sont impossibles, et évitons ceux que nous n'aimons pas. C'est le seul critère sensé, n'est-ce pas, miss Smith ?” 


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  • "Un monument de finesse et de pschycologie, ce portrait de femme(s) est brossé à la façon des grandes oeuvres d'art."

    690 pages 

    Henry James 

    Editions 10/18 

    Isabel Archer, belle et intelligente, jeune américaine éprise de liberté, refuse l'un après l'autre les prétendants et accepte avec joie d'accompagner sa tante en Europe. L'Angleterre est la première étape du voyage : dans la maison de son oncle, elle rencontre son cousin Ralph, esprit indépendant et raffiné qui tombe secrètement amoureux d'elle. Comme il se sait atteint d'une maladie incurable, son amour pour Isabel se transforme en sentiments fraternels et protecteurs. Grâce à lui, elle hérite d'une fortune qui va lui permettre de parcourir le monde. Ce privilège ne lui portera pas chance... En Italie, abusée par une femme intrigante et son ancien amant cynique, Isabel commettra une erreur de jugement qui modifiera le cours de son existence et sa conception romantique de la liberté...

    Ma chronique 

    Par son apparence déjà monumentale - un de ces gros pavés aux paragraphes compactes faisant bloc à chaque page - je savais m'attaquer à une histoire de vie comme je les aime. Le style raffiné de Henry James a opéré dès les premières lignes, les premières pages, et n'a fait que s'étoffer, se ramifier avec l'évolution de la lecture. Cela me donne l'effet d'une verdure riche et croissante, qualité propre à ces classiques que l'on oublie jamais et relis sans modération. C'est une addiction d'un genre différent des romans d'action, plus longue à venir mais certes plus délicieuse et marquante dans la durée (ce n'est là que mon impression de lectrice à côté de son époque). 

    L'héroïne du roman est en mal de liberté, pleine d'espoirs et d'idéaux, à qui l'on ne peut que s'attacher et suivre avec intérêt l'évolution. Autour d'elle gravitent prétendants (satellites bien cocasses par ailleurs^^) et autres personnages (même les plus secondaires étant précisément développés). Mais c'est aussi les portraits de plusieurs femmes, je citerais notamment Madame Merle, Mrs Touchett, Pansy, la Comtesse Gemini...

    Je n'ai pas l'intention de résumer toute l'histoire sur le long terme. Cependant, au combien l'étude pschycologique et les révélations finales m'ont touchées ! Tant les personnages sont nombreux et touffus, les observations de la plume agile et précise de Henry James se répercutent sur notre époque moderne voir sur nous même. Le vocabulaire est si justement employé, claire et profond, le style se savourant comme une patisserie fine.  Aucune niaiserie, seulement la qualité d'un éclairage net et précis sur les sentiments et la finitude de l'existence en générale, avec une évolution saupoudrée d'une tragique désillusion.

    Pour conclure, un pur lingot qui pèse son poids, un pavé qui risque de frappé fort votre caboche, un joyaux littéraire méritant une place de choix dans la bibliothèque. 

    happy 5 étoiles happy

     

    Extraits :

    "Sais-tu où tu vas? poursuivit Henrietta" "Non , je n'en ai pas la moindre idée, et cette ignorance m'agrée. Une voiture véloce, par une nuit noire, qui roule avec fracas sur des routes invisibles - voilà mon idée du bonheur.

    "Ses yeux gardaient la trace de remontrances qu'elle n'avait pas acceptées."
     
    "Les plus belles natures sont celles qui rayonnent dans les grands moments."
     
    "J'appelle riche les gens qui peuvent réaliser les exigences de leur imagination."

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